Un chat de Psychologies Magazine du 3 décembre 2009.

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AAAA_GUESTIZITCHAT: Jean-François Noubel Bonjour !
 
Jean-François Noubel Merci de m’avoir invité. Merci à psychologies magazine d’organiser cet échange sur le sujet de l’intelligence collective
 
alex: Mais c’est quoi au juste l’intelligence collective ? Vous avez des exemples d’initiatives un peu marquantes à nous donner. Je trouve la notion assez floue…
 
Jean-François Noubel L’intelligence collective, ce n’est pas une “vision politique”, même si le sujet y touche forcément…

C’est d’abord un fait : nous “faisons de l’intelligence collective”, dès que nous sommes ensemble à agir ensemble

viviane: Je trouve que l’intelligence collective est une idée très noble, mais étant parisienne, je vois bien autour de moi que les gens restent très individualistes, ne semblent pas prêts à l’échange. Qu’en pensez-vous, que peut-on faire pour faire évoluer les mentalités ?
 
Jean-François Noubel L’intelligence collective (je dirai IC par la suite pour faire plus court), c’est la capacité d’un groupe d’individus à projeter/anticiper un avenir et y parvenir ensemble en contexte complexe…
 
claire: Quand on voit ce qu’on appelle la culture Wiki, on comprend facilement que l’intelligence collective notamment par l’accès à l’information. Toutefois, est-ce que cette même culture ne pose pas des pbs, notamment quant à la véracité des infos mises à dispositions, l’authenticité des sources ? Comment l’expertise peut elle etre de mise quand tout le monde participe à une question qui n’est pas tjs de son ressor ?
 
Jean-François Noubel Cette définition prévaut pour toutes les formes sociales. Pour finir sur l’IC, il faut voir cela comme “l’intelligence”, elle est là partout autour de nous, dans la nature qu’on le veuille ou non, et sous différentes formes. Ainsi une armée, un groupe de jazz, un groupe de dauphins ou une fourmilière sont des formes d’IC.
Ce qui va nous intéresser ici, c’est la façon dont ça se passe chez les humains. Nous avons 3 formes principales d’intelligence collective
 
 
1. L’IC originelle : quand on est en petit groupe. Exemple : un groupe de jazz, une équipe de sport, une salle de réunion au travail… Seul problème : c’est limité en taille et en distance : l’IC originelle ne marche qu’avec quelques participants qui se perçoivent les uns les autres… ça dépasse rarement la taille d’un village. Et en sport, je n’en connais pas qui fassent 200 joueurs… on est en général à moins de 15. Pareil pour le jazz. L’avantage de l’IC originelle, c’est qu’on est dans un contexte très souple, très adaptable… et si un groupe est bien entraîné, on a ce qu’on appelle l’HOLOPTISME… C’est une notion très importante : regardez un groupe de jazz… chaque joueur est totalement lui-même, totalement souverain, créatif, libre, et pourtant l’ensemble fonctionne harmonieusement. L’holoptisme est une notion très profonde car elle montre qu’il n’y a pas forcément opposition entre l’individu et le collectif.
 
 
Quant aux autres formes, on a ensuite :
 
2. L’IC pyramidale, qui représente nos organisations d’aujourd’hui, depuis l’invention de l’écriture. Elle est constituée de hiérarchies, de dirigeants (élus ou auto-proclamés, peu importe), de division du travail, d’autorité descendante… La raison d’être de l’IC pyramidale, c’est qu’elle réussit à mettre ensemble de très grands nombre de personnes. C’est avec elle que les civilisations sont nées. Pour le meilleur et le pire, bien sûr. Mais elles ont aussi des limitations : elles existent au détriment de la souveraineté individuelle (plus ou moins, bien sûr). Elles “fabriquent” des cultures hyperdéveloppées dans le “faire”, et atrophiées dans l’être.
 
Et surtout, l’IC pyramidale repose sur une dynamique très importante : la rareté. Il faut en son sein un système de rareté organisée, car la rareté catalyse les hiérarchies. Sans rareté, pas de hiérarchie.
 
Et la ressource rare la plus courante dans les sociétés à IC pyramidale, c’est la monnaie. Les systèmes monétaires que l’IC pyramidale a toujours utilisés étaient fondés sur de la rareté. Par rareté, je veux dire que la monnaie se “concentre”, par mécanisme économique, dans les mains de quelques uns, ce qui concentre les pouvoirs, et donne les sociétés dans lesquelles nous vivons.
 
 
Noubel Pour finir sur ce petit tour d’horizon, il existe depuis peu de temps, une troisième forme d’IC :
 
3. l’IC globale. Elle a commencé à apparaître avec internet, et en est encore à ses premiers pas. Elle est observable au travers des actions de la société civile qui s’auto-organise, des réseaux sociaux, des médias en ligne (médias sociaux)… Et tout ce qu’on appelle aujourd’hui le “socialware”, c’est-à-dire ces logiciels en réseaux qui permettent à un collectif de s’auto-organiser sans retomber dans les limitations de l’IC pyramidale.
 
On voit donc apparaître des structures sociales qui agissent en réseau, par partage des savoirs, avec des logiciels qui permettent d’administrer la complexité, les prises de décision, les connaissances collectives, etc. Tout ceci est encore balutiant, mais déjà suffisamment avancé pour bouleverser l’histoire. L’élection d’Obama aux US est dû à cette forme d’IC qui s’est manifestée dans la société civile.
 
elodie: Quand on voit ce qu’on appelle la culture Wiki, on comprend facilement que l’intelligence collective notamment par l’accès à l’information. Toutefois, est-ce que cette même culture ne pose pas des pbs, notamment quant à la véracité des infos mises à dispositions, l’authenticité des sources ? Comment l’expertise peut elle etre de mise quand tout le monde participe à une question qui n’est pas tjs de son ressor ?
 
Jean-François Noubel Je reprends cette question posée tout à l’heure, que j’avais zappée par erreur…

La question de la véracité des informations a toujours été cruciale. La question n’est pas de savoir s’il faut vérifier — il FAUT vérifier la vérité, tout le temps. La question est de savoir si cette vérification est confiée à des autorités centralisées ou distribuées…

Centralisées : on connaît, nous sommes encore dans cette culture. On nomme des experts, on élit des politiques “garants” de l’intégrité, etc. On connaît également les limites de l’exercice : les erreurs de quelques uns sont faciles, et peuvent avoir des répercussions désastreuses pour le collectif. Sans oublier les nombreux abus de pouvoir car la tentation est grande quand on a le contrôle de l’autorité sur l’information.
 
 
Apparaissent aujourd’hui des formes “distribuées” de vérification de l’information. Elles sont loin d’être parfaites et soulèvent de nouvelles questions, mais elles ont malgré tout le mérite d’être plus fiables, plus résilientes que les modèles centralisés de “surveillance”. On parle alors de “sous-veillance”, mais c’est encore un concept nouveau qui ne commence qu’à apparaître dans notre réalité.
 
 
Sur la question “est-ce que tout ceci n’est pas dangereux ?”, la réponse sera toujours OUI ! Car l’avenir est toujours incertain, dangereux, non écrit. Donc nous avons toujours des challenges en face de nous, c’est le principe de la vie. A nous de nous approprier nos responsabilités, en particulier sur la nouvelle forme d’IC naissance, l’IC globale.

Bibi: Est-ce qu’en étant sur facebook, je participe à ce que vous appeler l’intelligence collective ? Quel est le role des réseaux en ligne dans cette nouvelle pensée que vous pronez ?
 
Jean-François Noubel Les réseaux sociaux, et médias sociaux, sont un nouveau “métier à tisser social”. Si on le désire, on peut trouver l’autre à partir du sens. Amusez-vous à taper les bons mots clés dans un moteur de recherche, ou dans un réseau social, ou dans twitter… si ces mots clés représentent une vraie question qui vous est profonde, alors vous aller tomber sur d’autres personnes, d’autres contenus… c’est une manière d’entrer en lien encore inédite dans l’histoire de la vie. Entrer en lien sur le sens… pour qui s’entraîne, on peut même apprendre à utiliser internet comme un espace de synchronicités.
 
honderine: bonjour, j’ai longtemps espérée dans le collectif mais au travers de l’expression sportive! Aujourd’hui je crois réellement que l’on doit aider dans l’individu déjà pour lui meme car il ne peut y avoir “d’intelligence collective” sans au départ une “intelligence individuelle”! Les gens ont peurs et je ne crois plus en la socièté pour les rassurer, mais plus “aux communautés” pour se rassembler et qui sait enfin créer une pensée intelligente qui pourra rayonner et avoir des répercutions!
 
Jean-François Noubel C’est en effet l’éternelle question : le collectif, la société ne peuvent évoluer que si les personnes évoluent intérieurement, et on ne peut évoluer intérieurement que si nous sommes dans une matrice sociale qui le permet ! Il faut donc équilibrer les deux. Sur le plan pratique : faire du développement personnel implique systématiquement de sortir des sentiers battus, de ce que nous apprennent l’école, l’université, la pensée dominante. C’est un chemin personnel, qui ne trouve pas de soutien institutionnel et culturel. Mais également, nous sommes invités à créer des groupes de réflexion et “d’entraînement”, pour nous entraîner à créer des formes sociales plus libres, plus performantes, qui laissent plus de place à la diversité, la créativité, qui allient le local et le global… Plus facile à dire qu’à faire… mais internet nous ouvre des perspectives dans la reliance fondée sur le sens. Il faut alors apprendre à pondérer notre vie en ligne et notre vie physique. Ce sont de nouveaux équilibres et nouveaux codes sociaux à fonder.
 
pat: Est-ce que vous pensez qu’il va nécessairement devoir passer par l’intelligence collective ? est-ce qu’on ne peut pas faire confiance à nos élus pour initier des décisions de fond ?
 
Jean-François Noubel Pour rappel, nos sociétés fonctionnent déjà en intelligence collective : l’IC pyramidale. C’est la forme hiérarchisée que nous connaissons, avec des élus, des patrons d’entreprise, des stars, des mass médias, vers lesquels l’attention de la masse est tournée. Les processus de décision passent par eux, même s’ils sont les “représentants du peuple”.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire confiance à nos élus : avoir des sociétés dans lesquelles nous faisons confiance aux élus est primordial. Mais par contre il faut apprendre à comprendre les limites intrinsèques de l’IC pyramidale. Citons-en quelques unes :

– limite de complexité : aucune minorité au monde ne peut comprendre la complexité du tout auquel elle appartient. Ni les politiques, ni les dirigeants d’entreprise, ni personne. C’est une limite “physique”, cybernétique… Donc les minorités, aussi élues soient-elles, se trompent. Plus ou moins bien sûr. Ca marche à peu près quand les environnements culturels, sociaux, économiques, démographiques, écologiques sont stables. Ce qui n’est plus le cas à notre époque.

– limite structurelle liée à la rareté de la monnaie : je vais revenir sur ce point.
 
petite-plume: Bonjour Jean-François Noubel, le fait qu’il existe en France des travailleurs pauvres, qui dorment sous des tentes est vraiment inadmissible. C’est symptomatique du Dieu argent qui mène le monde et cela doit changer. Par ailleurs j’aime bien faire cette comparaison entre l’effet de la tempête de 1999 et la crise actuelle : en 99 les forêts naturelles, à mulitples essences d’arbres ont bien mieux résisté à la tempête que les forêts plantées par l’homme, et destinée à un profit (exemple les forêt de pins en Alsace). POur la société humiane il en va de même : on voit actuellement des “boites” fermer et jeter à la rue des centaines d’employés qui faisaient tous un travail quasi identique. Alors que chacun porte en soi un talent propre, ce pour quoi il est venu sur terre (c’est du moins ce que je pense). C’est cela qu’il faudrait favoriser dans l’éducation de nos enfants, et non les mettre en compétition dès le plus jeune age pour être le meilleur. C’est toute le système actuel qui est à repenser …et vite !
 
Jean-François Noubel Merci de votre témoignage. En effet, voilà un des nombreux effets liés à une monnaie “rare”. Qu’est-ce qu’une monnaie rare ? Si vous avez joué au Monopoly étant petit, vous avez déjà la réponse. Dans le Monopoly, on démarre avec un monde idéal avec égalité des chances. Il y a un cercle de joueurs, et une banque qui injecte de la monnaie pour que les joueurs puissent échanger. C’est un modèle ultra-simplifié de la société actuelle, mais les fondamentaux sont les mêmes.

Au bout de quelques coups de dés, on voit que les joueurs plus riches vont devenir de plus en plus riches, et les plus pauvres de plus en plus pauvres. Ca se comprend : plus j’ai d’argent, plus je peux investir, plus je gagne, et plus je peux investir, etc. Et moins j’ai d’argent, plus je devrai en dépenser pour les autres. Ce phénomène naturel, “intégré” à la structure monétaire du Monopoly, porte un nom : c’est l’effet Pareto.

 
L’effet Pareto est un phénomène naturel dit de “condensation” : la monnaie se condense naturellement dans les mains de quelques joueurs, sans que ceux-ci cherchent nécessairement à se faire du mal. Imaginez la situation suivante : vous réunissez autour d’un plateau de Monopoly les 6-7 personnes les plus sages, les plus avisées que vous connaissez, et vous leur demandez simplement de jouer au Monopoly. Peu importe leur sagesse, peu importe leur développement personnel, elles finiront avec des riches et des pauvres. Ca nous donne une information fondamentale en intelligence collective : c’est que le système peut aller dans le mur, alors que chacun des acteurs est individuellement bienveillant. Il faut comprendre ce mécanisme à l’échelle de l’argent.
 
 
Donc là où je veux en venir, c’est que l’IC, en tant que discipline de recherche sur les mécanismes sociaux, nous aide à comprendre que le système monétaire que nous utilisons aujourd’hui, envoie tout le monde dans le mur, même si les acteurs son bienveillants (ce qui en plus n’est pas toujours le cas, on le sais bien).
 
 
Ce qui est grave dans cette histoire, ce n’est pas que la monnaie se “condense” dans des activités économiques fortes… ça on peut le comprendre. Ce qui est grave, c’est que ça laisse les autres “joueurs” — vous, moi, des régions entières, des secteurs économiques… — privés de l’outil monétaire. Nous avons les richesses : temps, volonté, savoir-faire, ressources, idées, entrepreneuriat… mais rien ne se fait, juste par défaut d’outil pour les transactions : la monnaie.
 
 
Ce que l’IC globale va inventer — elle est en train de le faire — ce sont de nouveaux systèmes monétaires, distribués, citoyens, qui vont apparaître par millions, dès 2010. Les monnaies vont devenir non plus “rares”, mais “suffisantes”. Autrement dit, un groupe de gens ou d’organisations peuvent déjà, dès aujourd’hui, créer “leur” monnaie interne pour arriver à faire circuler leurs richesses, sans avoir besoin d’Euros (qui sont ailleurs, et qui sont très chers à emprunter).
 
 
Tout le monde peut créer son système monétaire, et rendre ces systèmes inter-dépendants… c’est ce qui va se passer sur internet. L’économie est sur le point de vivre un bouleversement radical. Ca va remettre en question tout ce qu’on voit aujourd’hui : concentrations, licenciements, des Etats qui se désengagent de la vie sociale…
 
 
Cela, avec l’IC globale, qui distribue tout à fait différemment les modes de décision, de circulation de l’info, de création de la monnaie… bref, qui remet à plat la “res-publica”, la chose publique…
 
 
Je ne dis pas que tout va être rose, je dis simplement qu’un très grand bouleversement se prépare, en particulier avec la monnaie. Bien sûr, cela viendra avec de nouveaux défis, mais il est trop tôt pour les voir tous.
kriss: Quelle stratégie adopter contre les pollueurs, ces individu(e)s toxiques qui ne cherchent qu’à détruire “le bien” ? Apprendre les outils du net, partager les informations, chercher des solutions alternatives — car critiquer n’est pas suffisant, il faut proposer –, et surtout, créer des monnaies qui n’incitent pas à ce genre de comportement…
 
 
Pour suivre l’évolution de ces questions sur la monnaie, vous pouvez aller voir http://flowplace.org, c’est une des plate-formes sur laquelle les monnaies libres vont bientôt circuler, ainsi que sur nos téléphones portables.
 
Philippe74170: Avons nous réellement la volonté de nous engager dans du non polluant. Si c’était le cas, le coût ne devrait pas être un frein
 
Jean-François Noubel Le “non polluant”, le bio, et tout ce qui respecte la personne et l’environnement est en fait moins coûteux. On croit que c’est plus coûteux car on reporte les coûts sur les autres (en particulier les pays pauvres), et sur les générations suivantes de nos enfants. Si on fait le bilan économique global de la société actuelle de consommation, il est beaucoup plus élevé que celui d’une société “systémique”, capable de comprendre le “non polluant”.

Cette société systémique, à IC globale, est en train d’émerger. Elle ne peut fonctionner qu’avec des réseaux qui allient le local et le global.
 
NeronLeVelu: reinvention dur troc ?
 
Jean-François Noubel Non, car par définition le troc se fait sans monnaie, on se contente d’échanger. Ca marche dans une micro-communauté (IC originelle), mais c’est impossible dès qu’on est nombreux. La monnaie fait partie de la vie sociétale, il faut juste savoir qu’on peut inventer des monnaies libres qui ne se concentrent pas comme dans le Monopoly. C’est une nouvelle culture qui va arriver.
 
Philippe74170: Internet formidable outil n’est il pas en train de détruire la communication entre les gens
 
Jean-François Noubel Ne sommes-nous pas en train de communiquer ? C’est juste une nouvelle forme. Nous pouvons développer des liens forts sur internet, c’est juste à nous de décider comment, et d’apprendre les nouveaux codes sociaux.

Quant à savoir si c’est au détriment de la vie physique, avec nos proches immédiats, là encore, à nous de trouver les équilibres. Nous avons aussi besoin de nous relier aux autres cultures. L’Histoire n’est qu’une longue affaire de cultures qui se haïssent parce qu’elles ne se comprennent pas. Donc ce n’est pas le local ou le global, c’est les deux. Cela demande la présence des réseaux.
 
Valere: Que pensez-vous du buzz et de la mobilisation des artistes, des individus autour du sommet de Copenhague ? Est-ce que l’intelligence collective est aussi une forme de pression démocratique sur les pouvoirs publics, les décideurs ? Quels sont vos espoirs, pour Copenhague particulièrement ? Merci
 
Jean-François Noubel Toutes ces actions s’inscrivent dans la culture et le paradigme de l’IC pyramidale. C’est bien de mener des actions, de rester un citoyen actif qui fait entendre sa voix. Mais faut AUSSI comprendre que même si nos élus sont bienveillants et compétents, l’IC pyramidale a des limites intrinsèques, et systémiques.

Je m’explique… On a vu, avec l’exemple du Monopoly, que même si les joueurs sont bienveillants, le système va vers son déséquilibre et sa mort. C’est inscrit dans la structure monétaire même du Monopoly, tout comme dans la structure de nos monnaies actuelles. Donc même si les élus sont bienveillants, aucun aujourd’hui ‘a le regard de l’intelligence collective en tant que science sociale et systémique. Aucun ne dit aujourd’hui “démocratisons le système monétaire en permettant aux citoyens de créer leurs monnaie”. La limite “intrinsèque” du système est que la mort programmée de nos systèmes économiques par la monnaie rare ne joue en rien sur du débat ou des manifestations artistiques. Seule l’IC globale, nouvel écosystème social poussant sur l’ancien, va ouvrir de nouvelles perspectives. Mais ces perspectives ne se jouent pas dans les manifestations à Copenhague.
 
Sandrine: Pour reprendre votre exemple du monopoly, en fait si je vous comprends bien celui qui croit gagner et en fait aussi perdant que les autres mais n’en a aucunement conscience ?
 
Jean-François Noubel Absolument Sandrine. C’est intéressant de noter que le Monopoly a à l’origine été créé par une femme Quaker aux USA, pour montrer au peuple les phénomènes de concentration de l’argent, et que TOUT le monde perd, y compris celui qui a amassé tous les billets, car il n’a plus de partenaires économiques. La pensée compétitive a repris le jeu à l’époque, et l’a inscrit dans le paradigme dominant : le gagnant est celui qui rafle la mise. C’est une illusion qui ne tient pas les faits, car il est mort économiquement comme les autres puisqu’il ne peut plus échanger.
 
jmathon: Si le démarche d’IC globale est plus qu’interessante, il risque, pour les volontaires, de se poser le problème de l’abandon des comportements antérieurs. Une pratique effective semble donc indispensable aux pionniers de cette nouvelle discipline.
 
Jean-François Noubel Oui, et c’est là notre responsabilité. Pour les entrepreneurs sociaux, pour celles et ceux qui souhaitent à la fois la souveraineté individuelle et une société harmonieuse, pour celles et ceux qui veulent un environnement propre, etc, on ne PEUT PAS avoir cela avec l’IC pyramidale, qui produit ces phénomènes concentrationnaires et pollueurs.

Il faut donc s’approprier internet, les réseaux, les médias sociaux… Tout comme à une époque il était important que les technologies de l’écriture, de l’imprimerie, soient appropriées par tous. Maintenant la culture des réseaux, des socialware, est nécessaire pour passer à l’étape suivante.
 
Drummer: Notre monde économique, écologique et social actuel ne signe il pas la fin de notre jeu de monopoly actuel?
 
Jean-François Noubel Oui, on est visiblement en fin de partie, quand on voit que quelques infimes pourcentages de la population humaine contrôle presque toute la monnaie en circulation.
 
Je reviens sur les limites intrinsèques et systémiques, car c’est important à comprendre. Prenons l’exemple d’une voiture : sa limite “intrinsèque”, c’est qu’elle ne peut voler. Cette limite est dans sa conception même. Une limite “systémique” d’une voiture, c’est quand on en met des millions ensemble, alors on a les embouteillages, la pollution, une fois qu’on a mis beaucoup de ces voiture ensemble, en tant que système. En intelligence collective, c’est important de comprendre les limites intrinsèques et systémiques des formes d’IC.
 
 
Par construction, la limite intrinsèque de l’IC pyramidale est qu’elle ne peut pas résoudre les problèmes qu’on lui soumet aujourd’hui : écologie, droits de l’homme, climat, etc… Elle en est la cause par sa structure même. Seules de nouvelles “espèces sociales” pourront changer la donne”. Je ne parle pas ici de nouveau système politique, l’IC en tant que discipline observe déjà ce vivant social en émergence, qui crée de nouvelles structures, de nouvelles cultures. Ça a déjà largement commencé aux USA : Obama a été élu grâce à des structures à IC globales naissantes dans la société civile. L’ironie (si on peut appeler cela ainsi), c’est que le voici maintenant à la tête d’institutions à IC pyramidale qui, par structure, sont incapables d’appliquer son programme.
 
Louberee: Pondérer notre vie en ligne et pondérer notre vie physique ?
 
Jean-François Noubel Oui. Nous devenons des êtres globaux, qui sont autant concernés par la vie locale que globale.

La vie physique, nous connaissons, c’est celle que nous vivons dans notre espace physique immédiat : nos proches, la famille, les voisins, les collègues, la cité…

La vie en ligne, c’est ce qui nous permet de nous organiser, localement et globalement. Localement car tout est complexe aujourd’hui, et que les modes de prise de décision, de gestion des ressources, la mémoire collective, la gestion des projets, ont aussi besoin des réseaux, même localement. Et bien sûr globalement aussi, car nous sommes en inter-dépendance. C’est la vie en ligne. Elle nous met devant un ordi, ou devant un téléphone (les interface deviennent de plus en plus nomades). Il faut apprendre ces modes de vie pour qu’ils ne deviennent pas déséquilibrants.

Pour ma part, en tant que chercheur, je combine ma vie en ligne avec beaucoup d’exercice physique, des exercices de respiration, de la méditation, du centrage, pour rester présent à moi-même et aux autres. Ce n’est pas la techno qu’il faut incriminer, c’est notre responsabilité qu’il faut engager pour créer les prochaines cultures et codes sociaux permettant de nous installer harmonieusement dans ces nouveaux enjeux.
 
jenny.johnson@live.fr: que pensez vous du travail en reseaux? Comment pouvez vous convaincre quelqu’un que ce systeme est efficace?
 
Jean-François Noubel Je ne cherche à convaincre personne. Il y a le pire et le meilleur en germe dans cette idée. Une chose est sûre : j’ai plus confiance dans un système où les personnes peuvent être diverses, uniques, autonomes, individuées. Mais pour cela, il faut du réseau, car cela soulève de très grandes complexités. L’IC pyramidale a réussi en “gommant” les différences, en rendant les gens aussi prévisibles que possible. La prévisibilité, c’est ce qui est écrit sur nos contrats de travail lorsqu’on les signe. Nous nous engageons à faire telle tâche, à telle heure, tel jour, peu importent les aléas de notre vie intérieure, privée, intime. C’est une mise en conformité dans le jeu social pour qu’il soit prévisible. Une belle stratégie que l’IC pyramidale a trouvé là, mais qui ne tient plus aujourd’hui, ce qui est le moteur de l’IC globale.
 
Drummer: Le système ne veut pas du changement, les gens ne savent pas permutter de leur mode de fonctionnement à un nouveau modèle, comment accompagner ce changement?
 
Jean-François Noubel C’est comme tout : il y a d’abord des pionniers, puis une première vague de gens qui évoluent, puis une seconde… Il ne faut pas chercher à planifier, c’est une évolution organique, vivante. A chacun de choisir s’il veut rester dans l’ancien monde, ou passer dans le nouveau.

Si vous voulez avancer personnellement, quelques conseils :

– formez-vous aux réseaux sociaux. Je ne parle pas de faire du bruit sur Facebook. Les réseaux sociaux peuvent être très efficaces quand on apprend à s’en servir. Apprenez Twitter, le social tagging, les blogs, les wikis, les techniques de synchronicité en ligne…
– suivez des stages, des séminaires, fondez des groupes de travail local (en vous amusant, bien sûr !). Allez sur http://TheTransitioner.org par exemple, vous verrez des séminaires qui vont dans ce sens.

– Apprenez les monnaies libres, utilisez-les, et voyez comment on passe de mécanismes de rareté, de compétition artificielle inscrite dans nos codes sociaux, vers des mécanismes de symbiose, de coopération avec les autres…
 
Remi_Martin: Es ce une solution efficace et suffisante de changer son mode de vie (exemple : se transporter autrement, être plus conscient de ses valeurs, manger bio…) et en même temps essayer de changer les systèmes et d’en créer de nouveaux?
 
Jean-François Noubel Oui, absolument ! C’est la signature de l’IC holomidale, dont on mesure aussi l’évolution en sociologie, sous le terme des créatifs culturels, en constante augmentation partout dans le monde.

Mais il faut aller au-delà, comme je l’expliquais plus haut, en particulier en comprenant les monnaies libres.
 
Carina: ah ! Chercheur. Je voyais donc bien que vous êtes probablement Normalien. Nous avons de la chance de pouvoir profiter de votre savoir ce matin.
 
Jean-François Noubel Pour votre gouverne, je suis autodidacte, je n’ai aucun diplôme, ce qui ne m’empêche pas d’enseigner en université. Comme quoi, les idées préconçues… Et notre structure de recherche, http://TheTransitioner.org, est une structure à intérêt général, qui offre son travail de recherche et développement dans le domaine public. Tout est en accès libre, en “creative commons”, et en open source.

Je crois donc vous parler d’expérience directe…
 
fab: “s’approprier internet, les réseaux, les médias sociaux… ” oui pour les pays développés, quid des pays du tiers-monde? Ils resteront sur la touche?
 
Jean-François Noubel L’idée de la fracture numérique est en fait une vue des “pays riches”.

On ne peut résumer internet et les technologies en réseau à l’aspect “hardware”, autrement dit avoir un ordi connecté. Pour moi qui voyage dans le monde entier, je suis toujours émerveillé de voir qu’au fin fond d’un pueblo au Mexique, ou dans un petit village en Inde, on trouve presque toujours un “internet café”, avec une ou deux machines branchées, parfois entourées de poules ou autres babioles du commerce local.

La conséquence, c’est que le réseau est avant tout “social” : les information, la culture circulent, partout. Et Internet, ce n’est pas du mass-media, rappelons-le. Donc ça laisse la place à pas mal de diversité, même s’il y a beaucoup d’améliorations nécessaires.

D’autre part, ce qui va changer la donne, une fois de plus, ce sont les monnaies libres. Ces dernières sont utilisables avec n’importe quel téléphone portable, objet qui, je le rappelle, est omniprésent dans les pays “pauvres”. Cela veut dire que chacun a dans sa poche un “TPE”, ou terminal de paiement électronique, donc la capacité de devenir un acteur économique autonome. Et les monnaies libres, c’est la possibilité de rendre la souveraineté éonomique à tout le monde, sans passer par le monopole des banques et des pays émetteurs de monnaies rares (euros, dollar…).
 
fabio_le_retour: Merci pour vos retours quand à l’inégalité “des chances” entre les pays développés et tiers monde lors d’un passage à L’ICG.
 
Jean-François Noubel Avec plaisir.
 
Drummer: J’ai déja commencé le changement, je me heurte aux limites des personnes que je rencontre et qui elles ne veulent pas sortir du système pour se créer autrement
 
Jean-François Noubel Oui, c’est bien normal. Tous les grands bouleversements dans l’histoire montrent ce même phénomène.

Aucune institution aujourd’hui ne vous aidera. Il vous faut trouver des réseaux de personnes comme vous qui veulent avancer. C’est principalement via internet qu’on les trouve, ce qui ne veut pas dire que ces personnes sont loin ! Parfois on découvre son voisin sous un autre angle…
 
pomme: Il manque en France quelque chose de culturel qui est l’esprit de “communauté”, d’entraide, d’appartenance qui est naturelle aux USA et les à aidés à sortir de presque toutes les situations. J’en sais quelque chose : Handicapée par 2 maladies Orphelines de douleur, vivant seule, cela fait 8 ans que je n’ai vu personne, que mon appartement n’a plus été ni rangé ni nettoyé (cafards, araignées) que mes pathologies sont si douloureuses que je peux passer une semaine sans sortir ni manger, sans que quiconque ne s’en inquiète. Ce serait impossible aux USA . L’individualisme Français est scier la branche sur laquelle “ils” sont assis !
 
Jean-François Noubel C’est vrai que la situation française me paraît bien difficile en regard d’autres cultures. L’individualisme y semble très fort. S’y ajoute la peur du “spirituel”, autrement dit le “connais-toi toi même”, qui rend difficile le message proposant le développement personnel, et l’expérience spirituelle comme voie nécessaire pour avancer en humanité. Heureusement, ça bouge beaucoup un peu partout, les français commencent à s’ouvrir me semble-t-il.
 
fabio_le_retour: Si une nouvelle institution existe…FlowPlace THETRANSITIONNER.org (la pub dans l’ICG est permise :cheerful:
 
Jean-François Noubel Ce serait de la pub s’il y avait derrière des intérêts personnels. Or il s’agit de structures associatives dévouées au bien commun (je sais que vous plaisantiez, mais il n’est jamais inutile de le repréciser).
 
domi2b1: bonjour, je suis convaincue par la localisation des échanges ( je suis insulaire ) malgré tout, en qualité de citoyen, il y a des tas de barrières ( l’énergie, les impots, les assurances ) toutes ces charges auxquelles on ne peut échapper et qui réduisent considérablement la marge de liberté individuelle.
 
Jean-François Noubel La localisation des échanges en implémentant des monnaies locales permet déjà à des économies entières de revivre, ce qui n’est pas rien. Et une fois qu’elles revivent, elles sont alors en position d’échanger avec les autres, donc l’impact est de toute façon global.

Mais tout n’est pas local, nous le savons. Les infrastructures, les systèmes de santé, la recherche, l’espace, l’écologie, sont des affaires globales par nature. Il est donc normal de mutualiser une partie de nos ressources pour les mettre dans le “pot commun”. Rien ne dit que cette mutualisation doive être faite dans une monnaie globale. Et rien ne dit que, si monnaies globales il y a (et il y aura, bien sûr !), ces monnaies globales doivent être rares, comme c’est le cas aujourd’hui. Regardez par exemple les monnaies de type crédit mutuel qu’on trouve dans les les SEL (systèmes d’échange local), ou les LETS dans les autres pays. Chacun devient tantôt créateur de monnaie (banquier à taux zéro), ou emprunteur (à taux zéro également). La masse monétaire dont ont besoin les personnes et organisations est donc toujours proportionnellement exacte. Elle ne fait pas défaut, elle est suffisante.
 
 
Je suis conscient que c’est un sujet qui peut sembler encore très abstrait pour beaucoup, c’est pourquoi le mieux est de suivre de près ce qui va arriver, et de jouer directement. C’est en jouant qu’on apprend.
 
Remi_Martin: Techniquement, avec mon téléphone portable un nokia (plutôt ancienne génération), puis-je utiliser une monnaie libre et comment?
 
Jean-François Noubel Vous pourrez bientôt faire des transactions par simples sms, et mieux encore, en appelant un serveur vocal (qui peut être gratuit !). Nous sommes en phase de test, ça marche très bien.
 
NeronLeVelu: L’IC ne mene-t-elle pas a un uniformisation plus grande que le pyramidale (plus petit denominateur commun) ?
 
Jean-François Noubel Non, au contraire. L’uniformisation est une marque de fabrique de l’IC pyramidale. L’IC globale est faite pour intégrer la pluralité, la complexité systémique, d’où les réseaux.
 
lostghost: tout système a ses limites, ses extrêmes; quelle est la limite de l’IC?
 
Jean-François Noubel De l’IC globale j’imagine ? Je crois qu’on ne la connaît pas encore, même si on voit déjà beaucoup d’enjeux nouveaux se manifester. Les générations futures nous le diront !
 
Carina: Merci beaucoup pour votre intervention. Cela pense les plaies de l’âme de voir qu’il existe des gens qui veulent aider les autres en dispensant leur connaissances avancées. Merci
 
Jean-François Noubel Merci à vous également pour vos questions et remarques engageantes ! J’ai été très heureux de pouvoir partager un peu de ma passion de chercheur et d’acteur dans ce domaine.
 
 
2010 va être, je crois, une année marquante, en particulier avec la naissance des monnaies libres qui vont être un tsunami pour l’économie le jour où elles vont décoller. C’est un changement de civilisation qui en découlera, mais ceci est une autre histoire 🙂
 
 
A très bientôt pour de nouveaux partages, j’espère !